Alimentation compulsive : comment distinguer les signes et soigner le mal-être d’après une experte
« Je ne peux pas m’empêcher de manger et pense constamment à la nourriture, mais est-ce que je souffre pour autant de mal-être ? Ou bien suis-je simplement gourmande ? » On a posé la question au docteur Juliette Hazart, médecin addictologue et conférencière, pour y voir plus clair.
« Manger pour soigner un mal-être se distingue par des signes comme la consommation excessive ou insuffisante de nourriture, une préoccupation constante pour les aliments, et des sentiments de culpabilité ou de honte après avoir mangé. » Si vous vous êtes reconnu.e dans cette description de l’experte Juliette Hazart, alors cet article pourrait vous intéresser.
Pourquoi je me tourne vers la nourriture quand je ne vais pas bien ?
L’experte en addictologie emploie un terme qui résume parfaitement la situation : « Nous mangeons pour remplir un vide ». Comme elle l’explique, « consommer des aliments riches en matières grasses ou en sucre est une manière temporaire de “soulager” les émotions. » Comme une solution de réconfort, « une personne peut se tourner vers la nourriture lorsqu’elle se sent seule ou déprimée ».
Les déclencheurs d’une alimentation compulsive
Les déclencheurs varient d’une personne à l’autre, « incluant le stress, l’anxiété, la tristesse, l’ennui, ou même certains environnements ou situations sociales. La honte, la culpabilité et la colère en font partie mais pas seulement : les personnes peuvent aussi souffrir d’une dépression, de stress chronique voire de solitude, avec un sentiment de vide, d’ennui ou de rejet. »
« Manger ses émotions »
Dans un premier temps, l’experte préfère qualifier les émotions dites « négatives » d’émotions « désagréables ». Une notion « importante et cruciale dans la compréhension des mécanismes psychologiques qui sous-entendraient un comportement excessif boulimique ».
Les envies soudaines de nourriture s’expliquent d’une autre manière : votre corps chercherait à « compenser une période de restriction » passée (par exemple, si vous avez connu une période de grande restriction alimentaire, alors votre corps chercherait à « rattraper » ce manque). L’experte indique qu’il « est également possible que ces comportements soient liés à des problèmes sous-jacents non résolus, tels que des traumatismes ou des problèmes de santé mentale ».
Est-ce que je mange par compulsion ?
Avant toute chose, si vous pensez souffrir de troubles du comportement alimentaire, « il peut être utile de tenir un "journal alimentaire", de sorte à identifier les déclencheurs et schémas de votre comportement. »
Des « comportements compensatoires inappropriés »
Si vous combinez la consommation excessive de nourriture avec « une mauvaise image de vous-même, traduite par un auto-jugement négatif centré sur votre poids, votre silhouette, et une faible tolérance aux émotions dites négatives et d’importantes difficultés relationnelles », il se peut que vous souffriez de boulimie.
« Les comportements dans la boulimie ont une raison d’être »
Il est crucial de comprendre que les comportements tels que les accès hyperphagiques ou les comportements compensatoires inappropriés dans la boulimie ont une raison d'être, tout comme n'importe quel autre comportement. Ils remplissent une fonction spécifique. En effet, ils visent à diminuer ou à atténuer des émotions désagréables perçues comme intolérables par l'individu. Ces comportements offrent un soulagement émotionnel à court terme, voire une sorte d'anesthésie affective.
Identifier une crise de boulimie
Selon la dernière version du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5), une crise de boulimie (ou « binge eating »), répond aux deux caractéristiques suivantes :
« Absorption, en une période de temps limitée (par exemple moins de 2 h), d’une quantité de nourriture largement supérieure à ce que la plupart des personnes absorberaient en une période de temps similaire et dans les mêmes circonstances »
« Sentiment d’une perte de contrôle sur le comportement alimentaire pendant la crise de boulimie (par exemple, sentiment de ne pas pouvoir s’arrêter de manger ou de ne pas pouvoir contrôler ce que l’on mange ou la quantité que l’on mange) »
Lors de ces crises, on retrouve au moins trois des caractéristiques suivantes :
Manger beaucoup plus rapidement que la normale.
Manger jusqu’à éprouver une sensation pénible de distension abdominale.
Manger de grandes quantités de nourriture en l’absence d’une sensation physique de faim.
Manger seul parce que l’on est gêné de la quantité de nourriture que l’on absorbe.
Se sentir dégouté de soi-même, déprimé ou très coupable après avoir mangé.
« Dans tous les cas, le comportement alimentaire est source d’une souffrance marquée, interférant avec la vie quotidienne de la personne. »
Distinguer la boulimie de l’hyperphagie
Ce qui qualifie définitivement la boulimie, sera le comportement « post crise ». « Dans la boulimie (à la différence de l’hyperphagie boulimique), le comportement boulimique est associé au recours régulier à des "comportements compensatoires inappropriés". Ces derniers n’ont qu’un seul objectif : « prévenir la prise de poids par des vomissements volontairement provoqués, emploi abusif de laxatifs, diurétiques, lavements ou autres médicaments, mais aussi la pratique du jeûne ou exercice physique excessif. »
En l’absence de ces actes compensatoires pour « perdre du poids », on appelle ce trouble du comportement une « hyperphagie boulimique ». Dans ce cas, il se peut que vos crises aient entrainées une prise de poids jusqu’à l’obésité.
Pleine conscience, journal alimentaire, stratégies… comment soigner le mal-être par l’alimentation ?
Ajouté à la pratique que propose l’experte à ses patients, celles « de techniques de cohérence cardiaque couplées à de la méditation », d’autres méthodes existent pour « mieux percevoir les sensations de faim et de satiété, retrouver l'appétence pour des aliments bénéfiques à la santé mais aussi mieux réguler ses émotions et diminuer son niveau de stress. »
Pratiquer « l’alimentation en pleine conscience »
Pour développer son « intelligence émotionnelle » et ainsi « accueillir, nommer et accepter ses émotions pour éviter qu’elles ne nous submergent ou qu’on les refoule, on opte pour la pratique de la pleine conscience. » De cette manière, il serait possible de « développer un nouveau rapport à la nourriture et à la fonction de manger, en apaisant principalement votre rapport à l’alimentation. »
Développer des stratégies plus « saines »
les « techniques psychocorporelles » seraient l’une des clés à la bonne gestion du stress et des « émotions désagréables » définies plus haut. En quoi cela consiste ? En un ensemble de « techniques de relaxation, méditation de pleine conscience, yoga… »
Enfin, « il peut être utile de parler à un diététicien pour obtenir des conseils sur une alimentation équilibrée. Il est aussi primordial de prendre soin de soi en faisant régulièrement de l’exercice, dormant suffisamment et passant du temps avec ses proches. » Quoi qu’il arrive, l’aide de professionnels, comme un médecin traitant reste indispensable à un bon rétablissement.