Agressions de rue : elles racontent leurs stratégies pour remédier à l’insécurité  

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Établir des stratégies lorsqu’on est une femme hors de chez soi ? Témoignages.

Prévoir un jean pour le retour de cette soirée à laquelle on a décidé de se rendre en jupe, partager sa position pendant un trajet en taxi ou simuler un appel téléphonique lorsqu’on se sent suivie. Autant de petits gestes devenus réflexes, pour contrer la crainte de sortir lorsqu’on est une femme. Stratégies d’évitement, isolement, peur environnante jusqu’à atteindre la paranoïa, tel est le quotidien des femmes face à un sentiment d’insécurité ambiant.

 

Un quotidien plongé dans un climat d’insécurité

 

Ce réflexe de prendre la fuite face à un inconnu au loin, presque instinctif, fait partie intégrante du quotidien d’une majorité de femmes. En 2015, une étude menée par l’IFOP attestait que 100% des femmes ont déjà été victimes au moins une fois de harcèlement dans l’espace public. Une information qui avait vivement fait réagir la toile, et, aujourd’hui encore en France, parmi les 220 000 victimes annuelles de gestes inappropriés dans l’espace public (contact physique non désiré, baiser forcé, frottement, etc…), 82% sont des femmes**. Ces dernières années, l’ampleur du phénomène qu’est devenu le “harcèlement de rue” se médiatise. Les témoignages, collectifs, associations et pétitions se multiplient, autour d’histoires, toutes aussi similaires que singulières. Un continuum de violences désormais inscrit dans un climat d’insécurité constant pour les femmes.

« Je ne peux pas m’empêcher de me dire qu’un jour, ce sera mon tour » 

« Fais attention quand tu rentres », « écris-moi comme quoi tu es bien arrivée » ces phrases, sont devenues automatiques. Des réflexes inscrits dans l'inconscient collectif face à des persécutions de rues telles, qu’aujourd’hui, même celles qui n’en ont jamais été victimes craignent pour leur sécurité.

Se retrouver face à un agresseur dans la rue fait partie des plus grandes craintes des femmes, particulièrement le soir. Presque inévitable, nombreuses sont celles qui, comme Camille*, perçoivent la peur de faire une mauvaise rencontre comme une « fatalité » par laquelle toute femme passerait dans sa vie.

« Même si ça ne m’est jamais arrivé d’être agressée, je ne suis pas sereine à l’idée de sortir seule le soir, j’ai toujours mon téléphone dans la main, prête à appeler en cas d’urgence. Avec tout ce qu’on entend aux informations ou ce que mes copines me racontent, je me dis que ce n’est pas possible que ça ne me soit encore jamais arrivé ».

 

Un seul mot d’ordre : anticiper

 

Seule dans les rues, comme un « instinct de survie » se déclenche. Un besoin de se sentir en sécurité face à une crainte de voir son tour arriver tel qu’une multitude de stratégies sont quotidiennement mises au point, jusqu’aux plus improbables.

 

« Je prends mes clés dans la main, chacune dressée entre chaque doigt comme une arme. »

Diane*

 

« Je maintiens mon doigt sur le bouton d'appel d’urgence de mon téléphone, je me tiens prête à cliquer plusieurs fois dessus en cas de besoin. »

Carla*

 

« Lorsque je passe à côté d’un camion garé ou à l’arrêt, je m’éloigne pour m’assurer de ne pas me faire kidnapper »

Mélissa*

 

« Il m’arrive de courir le soir pour rentrer plus vite chez moi. »

Lina*

 

« Je me prends en photo dans les rues ou rames de métro vides, si jamais quelque chose m’arrive et qu’on retrouve mon téléphone, on saura où j’étais pour la dernière fois. »

Alix*

 

« C’est très particulier mais quand un homme m’aborde de manière trop insistante, je me mets à faire des mimiques avec le visage complètement affreux. L’idée est de lui faire penser que je suis “dérangée” et qu’il s’en aille, et le pire, c’est que ça fonctionne. »

Michelle*

 

« Avant de monter dans une rame de métro, j’analyse les personnes à l’intérieur. Je choisis celle dans laquelle il y a le moins d’hommes, du moins, celle où je pense que je me sentirais le moins en alerte. »

Marine*

 

« J’ai toujours une bombe lacrymogène avec moi. Dès que je sens que je suis dans un endroit délicat, je garde ma main dessus, dans ma poche ou mon sac. »

Victoire*

 

« Je me cache les cheveux dans une capuche, porte un jogging et adopte une démarche masculine pour passer devant des groupes d’hommes, au moins, ils ne me regardent pas. »

Joséphine*

 

« Lorsque je sens un homme derrière moi, je ralentis et le laisse passer devant, c’est plus rassurant. »

Agathe*

 

« Dans les transports je vais systématiquement lire ou regarder mon téléphone pour ne pas faire attention aux regards extérieurs. »

Mathilde*

 

« Je préviens encore mes parents par sms quand je suis bien rentrée chez moi »

Faustine*

 

En somme, des réflexes qui tendent à la paranoïa devenus aussi habituels que de programmer son réveil avant de dormir. En même temps, lorsqu’une étude publiée par l’INED en 2017 révélait déjà que 76% des Françaises ont déjà été suivies dans la rue… des chiffres inquiétants, qui suffiraient à justifier ce geste que Capucine* a fini par adopter, chaque fois qu’elle monte dans un VTC.

 

« Je laisse des preuves dans chaque voiture que je prends, de ma présence, au cas où si le trajet tournerait mal. Je fais attention à bien toucher les poignées, fauteuils et vitres, que mes empreintes restent. »

 

Une habitude, « depuis que j’entends des histoires de femmes dont le trajet a été détourné ou ont été agressées par leur chauffeur, j’en viens à prendre mes précautions. De toute manière, pour rentrer chez moi le soir, je prends un VTC ou le métro. Dans les deux cas, je me sentirais toujours exposée à un risque. »

  

*Les prénoms ont été modifiés

**Chiffres tirés du rapport « verbalisation du harcèlement de rue » publié par le secrétariat d’état chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes.

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